Couleurs de thé

Avec un même théier, le Camellia sinensis, on peut obtenir toutes les couleurs de thé. C’est lors de son travail à la manufacture, équivalent du chai pour le vin et sa vinification, que le producteur va donner naissance aux couleurs de thé.


Crédit photo: Rebecca Rübcke pour Portraits de Thés ed. Delachaux & Niestlé

entre oxydation …

Le brunissement, ou plus précisément l’oxydation enzymatique, est un processus naturel du vieillissement des végétaux que l’on peut admirer à l’automne. Les feuilles, quand elles se flétrissent, virent progressivement du vert au marron, fauve rouge … sous l’action de composés contenus dans celles-ci, appelés des enzymes oxydases. Ainsi, les jeunes pousses de thé changent de couleur mais aussi de goût ! Dans le jeu des couleurs de thé, le thé vert n’est pas du tout oxydé, il garde sa couleur verte d’origine, alors que le thé noir (dit rouge en Asie) l’est totalement : il prend une teinte marron. Quant aux autres couleurs, il s’agit d’une oxydation plus ou moins poussée, doublée parfois d’une fermentation.

… et fermentation

Pour certains thés, on recherche aussi une véritable fermentation microbienne. On se rapproche alors de l’univers des fromages ou des vins puisque c’est un processus dans lequel interviennent des levures, des bactéries ou des champignons pour faire évoluer la couleur et le goût de la feuille. Une sorte de moisissure contrôlée et maîtrisée par l’homme !


Le thé blanc

Délicat

naturellement oxydé

Le thé blanc est l’un des thés les moins travaillés et les plus délicats à obtenir. En effet, une fois cueillies, les jeunes pousses sont mises à flétrir plusieurs jours durant sur de grandes claies, dehors, à l’ombre, sous l’œil vigilant du producteur qui contrôle à la vue et au nez son évolution. Le climat doit être propice, ni trop chaud, ni trop sec, ni trop humide. Il peut ainsi soit sécher naturellement, soit être passé au four quelques minutes pour accélérer sa dessication et le stabiliser. Que s’est-il passé pendant ces jours de flétrissage ? La feuille commence à s’oxyder naturellement et prend progressivement une teinte vert-gris, subtil mélange de vert et de marron. Certains sont aptes au vieillissement.

son goût désaltérant et doux

Les thés blancs sont généralement légers en bouche avec un peu d’âpreté et une petite amertume plus ou moins prononcée suivant la qualité et l’origine. Ils sont doux avec des arômes végétaux secs, et des accents fleuris ou fruités suivant le cultivar, le terroir ou la finesse de la cueillette. Plus ils sont riches en feuilles, plus ils sont charpentés.


Le thé vert

Frais

non oxydé

On cherche à empêcher toute oxydation enzymatique du thé vert, or les fameuses oxydases sont sensibles à la chaleur : elles sont détruites au-dessus de 50 °C. Pour obtenir cette variété de thé, il suffit pendant un court instant de passer à la chaleur les jeunes pousses fraîchement récoltées, ce qui stabilise le thé et sa couleur. Son goût, donc, n’évolue plus. On appelle cela « fixer » la feuille. Deux méthodes sont utilisées pour cette fixation :

  • la chaleur sèche dans un grand wok posé sur un brasier, ou dans un cylindre tournant où de l’air chaud est insufflé. Ces méthodes sont courantes en Chine notamment ;
  • la chaleur humide dans des étuves saturées de vapeur d’eau. C’est une méthode majoritairement utilisée au Japon.

Puis a lieu le roulage qui donne au thé sa forme et sa couleur définitives. Enfin la dessiccation. En Chine, les pousses peuvent être roulées en perles, en bâtonnets aplatis ou en aiguilles, torsadées, nouées les unes aux autres pour reproduire des fleurs, coquillages, fruits… Au Japon, la feuille doit imiter une aiguille de pin à l’aspect vernissé vert sombre. Les thés verts sont généralement fragiles. L’idéal est de les conserver au frais et pour certains sous vide. Ils peuvent alors être conservés plusieurs années ainsi. Le thé vert représente un peu plus de 20% de la production mondiale de thé.

son goût entre mer et potager

Chaleur sèche, chaleur humide, ces facteurs vont véritablement influer sur le goût du thé indépendamment de tous les autres : climat, terroir, cultivar, etc. Concernant les thés verts fixés à la chaleur sèche, ils ont généralement des notes torréfiées, de légumes cuits ou de châtaignes, du velouté et du tanin, alors que ceux fixés à la chaleur humide présentent des notes végétales vertes (cresson, épinard) et des notes marines avec une légère acidité et de la texture pour les grands crus.


Le thé cyan ou wulong

Fragrant

semi oxydé

Cette famille se situe entre un thé vert et un thé rouge. Étant donné que l’on joue sur le degré d’oxydation de la feuille, on obtient des thés aux arômes très différents les uns des autres. C’est une des familles les plus variées et les plus riches en diversité aromatique. On les appelle wulong ou thés bleu-vert. Pour ma part, je préfère le terme cyan à bleu-vert. Le procédé de transformation est une formule allégée de celui du thé rouge avec une oxydation stoppée en cours de route par la dessiccation finale. On peut avoir ainsi des wulong semi-oxydés de 5 % à 70 % de la feuille. Certains wulong sont torréfiés afin d’exacerber les arômes des feuilles et de développer des notes grillées. Pour de grands crus millésimés, cette torréfaction est aussi une manière de conserver le wulong et de le faire vieillir. On peut donc trouver dans cette famille de thés de vieux millésimes torréfiés à plusieurs reprises. C’est une manière aussi de les « réveiller » quand on les a oubliés quelque temps.

Son goût entre fleurs fraîches et fruits confits

Suivant la saison de récolte, leur typicité varie, plus végétaux généralement au printemps et plus fleuris-fruités en automne. Ces deux saisons sont les plus réputées pour les wulong. Suivant le degré d’oxydation et/ou la torréfaction plus ou moins poussée, se dégage une palette de fragrances infinie et puissante allant de notes fleuries types fleurs blanches fraîches, végétales ou de fruits comme la pêche pour les faiblement oxydés et faiblement torréfiés, à des notes vanillées, fruitées confites, grillées pour les fortement oxydés et les torréfiés.


Le thé noir (dit rouge en Asie)

Robuste

totalement oxydé

Appelé thé noir en Occident à cause de ses feuilles sèches marron foncé, il est appelé thé rouge en Extrême Asie (Chine, Corée, …) car, une fois mouillées, les feuilles prennent une teinte fauve. Contrairement au but recherché pour le thé vert, on souhaite obtenir une feuille totalement oxydée. Deux étapes préalables sont nécessaires pour activer cette oxydation : le flétrissage afin que la feuille devienne élastique, facile à travailler sans être trop cassée, puis le roulage pour faire sortir le jus de la feuille et activer les réactions d’oxydation, comme quand vous vous amusez à rouler un brin d’herbe dans les mains : il noircit ! Une fois ces deux étapes passées, les feuilles sont laissées en tapis épais sur des paillasses où elles continuent tranquillement à s’oxyder, à brunir pendant quelques heures sous l’œil et le nez vigilants du producteur qui décide quand stopper cette oxydation, tout simplement en dessiquant la feuille en la passant dans un four comme pour les autres couleurs. De nombreux thés noirs peuvent se bonifier au fil des ans. Le thé rouge/noir représente 60 % de la production mondiale de thé.

Son goût boisé & charpenté

La palette aromatique est très large car, suivant le pays, l’altitude, la saison de récolte, le cultivar, les goûts sont très variables. Mise à part la famille des Darjeeling aux notes vives végétales, zestées pour certains crus de printemps, les thés noirs/rouges ont généralement des notes aromatiques dites de cœur et fond boisées, compotées, vanillées, grillées avec une structure en bouche bien présente charpentée.


Le thé sombre (dit noir en Asie)

Voluptueux

entre oxydation & fermentation

Le thé sombre, dit thé noir en Asie, dont le plus connu est le pu er est le fruit d’un jeu subtil entre oxydation et fermentation plus ou moins poussées lors de sa manufacture, puis des condition de sa maturation, ou de son stockage, au fil des ans après sa manufacture, pouvant s’affiner de nombreuses années pour les grands crus.
Dans ce cas, il ne s’agit pas seulement d’oxydation, mais aussi d’une véritable fermentation microbienne faisant intervenir des bactéries et des champignons. La première étape, juste après la récolte, est le flétrissage pendant quelques heures pour que les feuilles commencent à se déshydrater, et donc se ramollir. La deuxième étape est, comme pour le thé vert, la fixation à la chaleur sèche pour « tuer le vert » ou empêcher l’oxydation enzymatique. Cette étape peut être plus ou moins longue avec une chaleur plus moins forte permettant de ne pas forcément complètement détruire toutes les enzymes. Celle-ci peut être faite plus ou moins fortement, ce qui induira par la suite une reprise lente ou pas de l’oxydation naturelle de la feuille. Ensuite les feuilles sont roulées pour faire sortir le jus et permettre une homogénéité du vieillissement par la suite. Elles prennent alors leur forme oblongue torsadée caractéristique. Elles sont ensuite entreposées en plein air pendant plusieurs heures pour sécher naturellement lentement. On obtient alors le pu er sheng cha ou pu er cru. Quand il est en vrac à l’état brut on l’appelle mao cha. Il peut être stocké ainsi ou compressé en galettes ou briques ou autres formes et affiné au fil des ans. Il existe un autre type de pu er, le pu er shu cha ou pu er mûr. Pour ce dernier, on réhumidifie les feuilles, on les entrepose en tas couverts d’une bâche, puis on les laisse ainsi fermenter plusieurs jours en les brassant régulièrement, c’est ce que l’on nomme le procédé wo dui (littéralement « tas humide »). On obtient alors une sorte de vieillissement accéléré ! C’est une technique qui a d’ailleurs été mise au point dans les années 1970 pour essayer de retrouver plus rapidement les caractéristiques du pu er cru âgé ayant subi un stockage dit hong-kongais, c’est-à-dire humide. Cela a donné naissance finalement à une autre sous famille de pu er. Lui aussi peut être sous forme mao cha ou compressé et affiné plusieurs années.

du bois au sous bois

Suivant qu’il est cru ou cuit, le thé sombre présente des notes aromatiques très variables et très typées allant de notes végétales, séveuses, zestées, parfois même orientales en s’affinant évoquant le patchouli, le cèdre ou le santal avec une certaine vivacité pour un pu er cru dit pu er sheng cha, à des notes veloutées de sous-bois, de mousse ou cuir pour le pu er mûr dit pu er shu cha.